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Le Mizzippy

 

Alvin avait du mal à entendre le chant vert dans ce pays. Ce n’était pas seulement dû à la dissonance des plantations successives de coton cultivées par des esclaves qui émettaient un bourdon monocorde, amer et plaintif sous la musique du vivant. C’étaient aussi ses propres inquiétudes, ses propres craintes qui distrayaient son attention et l’empêchaient d’écouter autant qu’il aurait fallu la vie autour de lui.

Confier à Arthur les tâches de Faiseur qu’exigeait cet exode était dangereux, non pas que le jeune homme pût faire preuve de mauvaise volonté, mais parce qu’il y avait tant de choses qu’il ignorait. Non seulement dans le domaine d’activité du Faiseur, mais aussi sur la vie, sur les conséquences qu’entraînait toute intervention. Alvin lui-même n’en était pas expert pour autant – pas plus que Margaret, car si elle voyait beaucoup de chemins, elle hésitait sur ceux qui menaient en lieu sûr. Mais il en savait plus long qu’Arthur Stuart du simple fait d’avoir davantage vécu et d’avoir eu l’œil à tout.

Pire, le commandement du camp se trouvait entre les mains de La Tia et – dans une moindre mesure – de Marie la Mort et sa mère. Il ne connaissait La Tia que depuis la veille de la traversée du lac. C’était une femme habituée à détenir davantage de pouvoir que son entourage – comment traiterait-elle Arthur Stuart maintenant que le forgeron n’était plus là pour veiller sur lui ? Si seulement Alvin pouvait voir dans le cœur des gens ! La Tia n’avait peur de rien, ce qui voulait dire qu’elle était candide ou bien inconsciente.

Et Marie la Mort. À l’évidence, elle en pinçait pour Arthur Stuart – ça se remarquait à sa façon de le regarder, de rechercher sa compagnie, de rire à ses traits d’esprit. Bien entendu, le gamin n’y voyait que du feu, il n’avait pas l’habitude de côtoyer des femmes et, comme Marie la Mort n’était pas femme à conter fleurette ni femme facile, il aurait du mal à en saisir les signes par manque d’expérience. Mais si, durant l’absence d’Alvin, elle s’arrangeait pour qu’il s’en aperçoive, après tout ? Que ferait Arthur Stuart, sans surveillance, en compagnie d’une femme qui risquait d’être beaucoup plus expérimentée que lui ?

Alvin nourrissait aussi des appréhensions sur la prise en charge des esclaves des plantations où ils feraient halte en cours de route. Mais, comme avait dit La Tia quand il avait suggéré qu’il ne serait peut-être pas judicieux de grossir encore le nombre des fuyards : « C’est une marche vers la liberté, mon vieux ! Qui tu vas laisser derrière toi ? Ces genses ont moins b’soin de liberté, tu crois ? Quofaire c’est nous autres les élus ? Ils sont autant israélites que nous autres ! »

Israélites. Tout le monde comparait évidemment leur fuite à l’exode d’Égypte, ce que venaient renforcer les noyés de l’armée de « Pharaon » lors de l’effondrement du pont. Le brouillard, c’était la colonne de fumée. Et quel rôle tenait Alvin dans tout ça ? Celui de Moïse ? Sûrement pas. Mais c’était ce que beaucoup pensaient.

Pas tout le monde pourtant. La colère couvait au sein du groupe. La colère d’un certain nombre de gens qui avaient fini par détester toute forme d’autorité, et pas uniquement celle des Espagnols ou des propriétaires d’esclaves. La colère du vieux Bart, le majordome des Cottoner – son cœur débordait de fureur. Alvin se demanda comment il avait réussi à la contenir toutes ces années durant. Le vieux Bart arrivait encore à se maîtriser, et il s’était considérablement calmé maintenant qu’il constatait l’ampleur de la tâche de conduire tous ces gens sans encombre à travers le pays esclavagiste. Ça ne lui faisait pas de mal d’avoir vu Arthur Stuart et La Tia se servir de pouvoirs qu’aucun Noir de sa connaissance n’avait jamais employés – et des tas de Blancs de la compagnie faire ce qu’ils leur demandaient. C’était déjà un monde nouveau.

Mais ils passeraient par une autre plantation où les esclaves avaient beaucoup plus souffert que chez les Cottoner, et la colère du vieux Bart allait se ranimer, ses collègues de son ancienne maison se rendraient compte de sa fureur, ce qui raviverait la leur. C’était humain et la situation n’en devenait que plus dangereuse.

Combien d’autres encore détenaient un peu d’autorité comme le vieux Bart ? Sans parler de ceux qui causeraient des ennuis pour le seul plaisir de jouer les fauteurs de troubles. Ils n’allaient tout de même pas annoncer dans chaque plantation : On va libérer tous ceux qui sont gentils et charitables, les autres, ceux qui ont le fond méchant ou qui sont trop en colère pour agir pacifiquement, vous allez rester ici et subir le fouet.

Comme Moïse, on emmènerait tous ceux qui étaient en esclavage. Et, comme Moïse, on n’imaginerait pas que certains d’entre eux se débrouilleraient peut-être pour ériger un veau d’or qui détruirait l’exode avant l’arrivée en terre promise.

La terre promise. Voilà le gros souci. Où allait-il bien pouvoir les mener ? Où était le pays du lait et du miel ? Le Seigneur n’était pas apparu à Alvin dans un buisson ardent. Ce qu’il avait vu de plus approchant d’un ange, c’était la nuit noire où était apparu dans sa chambre Tenskwa-Tawa un Rouge, à l’époque, qui ne dessoûlait pas et s’appelait Lolla-Wossiky – dont il avait guéri l’œil aveugle. Mais Lolla-Wossiky n’était pas Dieu ni même un ange comme celui qui avait lutté avec Jacob. C’était un homme accablé par la douleur de son peuple.

C’était pourtant le seul ange qu’avait jamais vu Alvin, ou dont il avait jamais entendu parler, sauf si on tenait compte de ce que le mari de sa sœur, Armure-de-Dieu Weaver, avait vu dans l’église du révérend Thrower quand Alvin était enfant. Quelque chose qui miroitait et qui courait à toute allure dans les murs, et Thrower avait failli devenir fou en le voyant, mais Armure-de-Dieu n’avait pas pu en distinguer davantage. Et c’était ce qui existait de plus surnaturel dont une connaissance d’Alvin s’était jamais approchée.

Oh, les miracles n’avaient pas manqué dans la vie d’Alvin, des tas d’événements étranges, dont certains merveilleux. Peggy qui veillait sur lui durant toute son enfance sans même qu’il s’en doute. Les pouvoirs qu’il avait découverts en lui, l’aptitude à voir dans le cœur du monde, à le convaincre de changer et devenir meilleur. Mais aucun ne lui avait permis de savoir ce qu’il devait faire d’une minute sur l’autre. Il devait se dépatouiller du mieux qu’il pouvait en suivant les conseils qu’il trouvait. Mais personne, pas même Margaret, ne détenait la vérité – une vérité tellement vraie qu’on la reconnaît tout de suite et qu’on ne peut douter de son bien-fondé. Alvin conservait toujours une ombre de doute parce qu’on ne connaît jamais rien, même pas ce qu’on a au fond du cœur.

À force de ressasser de telles pensées sans parvenir à aucune conclusion, il s’aperçut bientôt qu’il avait les jambes fatiguées et les pieds douloureux – ce qui ne lui était pas arrivé en courant depuis que Ta-Kumsaw lui avait appris à entendre le chant vert et à le laisser lui communiquer la vigueur de toute la vie qui l’entourait.

Ça n’ira pas, comprit-il. Si je cours comme un homme normal, je progresserai si lentement que la nuit ne me suffira pas pour atteindre le fleuve. Il faut que je m’enlève toutes ces idées de la tête et que je laisse le chant m’envahir.

Il fit donc la seule chose qui lui venait à l’idée pour interdire l’accès aux pensées indésirables.

Il projeta son esprit, chercha la flamme de vie de Margaret, une flamme qu’il connaissait aussi bien que lui-même. Il la trouva… et là, juste sous sa flamme de vie, brillait l’étincelle éclatante du bébé qu’ils avaient conçu ensemble. Alvin se concentra sur le bébé, s’efforça de pénétrer dans son organisme miniature, de sentir les battements du cœur, la circulation du sang, la force que lui transmettait Margaret, de voir comment ses petits muscles jouaient et s’étiraient sous sa pression.

L’exploration de cette nouvelle vie, de cet homme à venir, fit passer au second plan toutes les inquiétudes d’Alvin. Le chant vert lui revint alors, et son fils en faisait partie intégrante, les battements de son cœur concouraient au rythme des arbres, des petits animaux, de l’herbe et, oui, même du coton que cultivaient les esclaves, de tout le vivant. Les oiseaux dans le ciel, les insectes qui rampaient sous ou sur la terre, les mouches et les maringouins, tous participaient à la musique. Les alligators sur les berges des rivières alanguies et des étangs stagnants, les cerfs qui broutaient toujours dans les boqueteaux qui n’avaient pas encore cédé la place aux champs de coton, les petites herbes capables de guérir ou de tuer, les poissons dans l’eau et le ronron de la population endormie qui, la nuit, faisait à nouveau partie du monde au lieu de le combattre comme la plupart des gens toute la sainte journée.

Il n’était donc plus fatigué ni endolori, mais alerte, débordant d’énergie et en pleine forme, lorsqu’il atteignit les berges du Mizzippy. Il avait croisé beaucoup de pistes de chariots mais rien qu’on pût qualifier de route, car dans la région les meilleures routes restaient les voies fluviales, et la plus grande de toutes le Mizzippy.

Il faisait nuit, mais le ciel s’éclairait d’un grand nombre d’étoiles et d’un mince croissant de lune. Alvin voyait le large fleuve, dont chaque vaguelette renvoyait une parcelle de lumière, s’étirer à gauche comme à droite. À mi-largeur se dressait pourtant le brouillard perpétuel qui protégeait la rive occidentale des ambitions fébriles et sans bornes des Européens.

Il ne faisait aucun doute que Tenskwa-Tawa était au courant de la venue d’Alvin. Sa belle-sœur, Becca, était tisserande des fils de la vie. Elle avait forcément remarqué celui d’Alvin et son déplacement vers la frontière entre les Blancs et les Rouges. Tenskwa-Tawa l’avait appris. Il le savait, si Alvin venait droit vers le fleuve au lieu de le longer vers le nord ou vers le sud, c’était parce qu’il voulait le traverser. Parce qu’il voulait lui parler.

Ce n’était pas une habitude chez Alvin. Il ne voulait pas gêner. Il fallait que l’affaire soit importante pour qu’il se déplace. Tenskwa-Tawa comprendrait et viendrait à sa rencontre.

Ou pas. Après tout, Tenskwa-Tawa n’était pas homme à venir sur l’ordre d’Alvin. S’il était occupé, Alvin allait devoir attendre. Ça n’était jamais arrivé, ou du moins il avait peu attendu. Mais le forgeron savait que ça pouvait se produire, et il était prêt à prendre son mal en patience. Le temps nécessaire.

Mais si Tenskwa-Tawa ne venait pas du tout, qu’est-ce qu’il faudrait en conclure ? Que sa réponse était négative ?

Que ces cinq mille enfants d’Israël en tout cas des enfants de Dieu, à moins qu’il ne voie rien de plus en eux que des enfants de parents impuissants mais des êtres humains tout de même –, il refusait de les laisser passer ? Que ferait Alvin dans ce cas ?

Il regarda vers l’aval, mais pas avec les yeux. Il chercha les flammes de vie de l’expédition vers le nord partie de Barcy dans l’après-midi afin de ramener les esclaves marrons. Très bien – elle n’avait guère avancé le premier jour et restait encore loin. Du groupe se dégageait un sentiment de colère et de malaise, tandis que les hommes soûls vomissaient, que ceux qui avaient dessoûlé souffraient de maux de tête, que ceux qui regrettaient de ne pas être soûls maugréaient contre le manque d’intérêt du voyage et les maigres plaisirs à bord d’un bateau militaire.

Encore plus loin voguait le navire qui transportait Calvin. Beaucoup de colère sur ce bâtiment aussi – mais d’une autre nature, comme un sentiment amer de droits longtemps différés. Calvin avait trouvé une bande animée des mêmes idées que lui, des aigris qui pensaient que le monde leur devait quelque chose et tardait à les payer. Allaient-ils vraiment au Mexique ? Calvin était-il assez bête pour participer à cette expédition démente ? Où qu’ils aillent, Alvin savait qu’ils créeraient des ennuis sitôt arrivés.

Mais il se demandait surtout comment il allait traverser le fleuve.

Bâtir un pont pour lui seul ne paraissait pas très raisonnable. Une traversée à la nage serait longue, d’autant plus ardue tout habillé et lesté d’un soc d’or – lequel faisait une excellente ancre mais un bien piètre radeau.

Il entreprit donc de longer le fleuve vers l’amont. L’ennui, c’était qu’un enchevêtrement d’arbres et de broussailles le bordait, mais qu’en s’en écartant on ne voyait plus s’il y avait une barque amarrée à la rive. Ce n’était pas un pays propice à la culture ni à la pêche, et il y avait peu de chance pour que des colons se soient établis à proximité. Sans oublier les alligators – il voyait leurs flammes de vie, légèrement atténuées par le sommeil sauf chez les plus affamés. Ils ne cracheraient pas sur une portion de chair humaine à digérer dans la chaleur du lendemain en se prélassant sur la berge du fleuve.

Ne te réveille pas pour moi, murmura-t-il à un saurien aux aguets non loin de là. Reste où tu es, je ne suis pas pour toi aujourd’hui.

Il finit par comprendre qu’il ne trouverait pas de barque à moins d’en fabriquer une.

Il dénicha donc un arbre mort à moitié abattu – le rivage n’était pas entretenu et n’en manquait pas – et convainquit ses dernières racines encore accrochées dans la terre de lâcher prise. Dans une gerbe d’éclaboussures l’arbre bascula dans l’eau et, au bout d’un moment, Alvin l’avait débarrassé de toutes les branches qui le gênaient. L’arbre était resté debout, en partie mort, assez longtemps pour que le bois soit sec et flotte bien. Il lui donna une forme un peu plus appropriée puis se fraya un chemin entre les broussailles en marchant sur des racines jusqu’à ce qu’il parvienne assez près de la souche et ne soit pas obligé de patauger trop loin dans l’eau pour l’atteindre.

La chevaucher s’avéra une opération délicate car elle avait tendance à rouler sur elle-même, et Alvin se dit qu’elle devait beaucoup ressembler au grand arbre que charriait la rivière Hatrack en crue le jour où il était né. Ce qui a tué mon frère Vigor me sert aujourd’hui à traverser.

Mais ce rappel du passé lui remit en mémoire ses années d’enfance, quand tous les accidents qui lui arrivaient avaient manifestement un rapport avec l’eau. Son père en avait fait l’observation, et il ne s’agissait pas non plus d’une vague superstition née d’un ensemble de coïncidences. L’eau s’efforçait de le tuer, voilà ce qu’avait dit Alvin senior.

Et ce n’était pas complètement faux. L’eau en elle-même ne voulait pas, ni ne souhaitait, lui faire du mal ni rien. Mais elle déchire, rouille, érode, dissout, décompose tout ce qui passe sur, sous ou à travers elle. L’instrument naturel du Défaiseur.

À la pensée de son ancien ennemi qui l’avait si souvent entraîné au seuil de la mort, il retrouva l’étrange sensation souvent éprouvée dans son enfance. L’impression que quelque chose l’observait à la limite de son champ de vision. Mais quand il tournait la tête, l’observateur fuyait, semblait-il, jusqu’à la nouvelle limite du champ de vision. Il ne voyait jamais rien. Le néant. Mais c’était ça l’ennui : le Défaiseur était le néant, du moins aimait-il le néant et souhaitait-il tout réduire à néant, et il ne prendrait pas de repos avant que tout soit détruit, balayé, envolé.

Alvin s’opposait à lui. Un gringalet futile, pathétique, voilà ce que je suis, se dit-il. Je ne bâtis pas aussi vite que le Défaiseur détruit. Mais il me déteste quand même parce que j’essaye.

À moins qu’il ne me déteste pas. Il n’est peut-être qu’une bête sauvage sans cesse affamée, et j’ai tout bonnement pour lui l’odeur d’une proie. Aucune malveillance là-dedans. La destruction ne participait-elle pas de la construction ? L’une et l’autre appartenaient au grand cycle de la nature. Pourquoi serait-il l’ennemi du Défaiseur alors qu’ils travaillaient en réalité ensemble, Faiseur et Défaiseur, le premier reconstruisant à l’aide des décombres de ce que détruisait l’autre.

Alvin frissonna. À quoi jouait-il ? À quoi pensait-il ?

Une flamme de vie brillait non loin de lui. Très affamée. L’alligator auquel il avait dit de se tenir à l’écart. Manifestement, l’animal avait changé d’avis à la vue d’Alvin debout jusqu’aux cuisses dans le Mizzippy, les mains posées sur une souche flottante, chargé d’un sac pesant jeté sur son épaule.

Alvin sentit les mâchoires se refermer dans un claquement sur sa jambe et aussitôt le tirer vers le fond d’une secousse qui lui fit perdre pied et couler.

Il lutta pour empêcher ses réflexes naturels de réagir – battre des bras, pris de panique, pour remonter respirer en surface ne servirait pas à grand-chose alors qu’un alligator lui retenait la jambe.

Le saurien secouait la tête violemment, et Alvin sentit une brutale traction sur son fémur au niveau de la hanche. Au prochain coup, il allait se déboîter.

Le forgeron se projeta dans l’esprit de l’alligator pour le persuader de lâcher prise. Rien de plus simple que de dire à un animal au cerveau réduit comment voir le monde. Ça ne se mange pas, ce n’est pas une proie, va-t’en.

Seulement l’alligator ne s’intéressait pas à son discours. Ce qu’Alvin sentait dans sa flamme de vie, c’était un élément ancien et malveillant. La bête n’avait pas faim. Elle voulait uniquement le tuer. Il la sentait impatiente de le réduire en charpie, comme prise d’une frénésie croissante.

Et il sentait d’autres flammes de vie s’approcher. D’autres alligators, attirés par la lutte dans l’eau.

Pourquoi cet animal ne répondait-il pas à ses injonctions ?

Parce que tu es dans l’eau, crétin.

Non, je me suis trouvé dans l’eau des centaines de fois sans risque, et…

Pas le temps de régler ça maintenant. Si je n’y arrive pas par la persuasion, je vais m’y prendre différemment.

Alvin envoya sa bestiole sous lui, obstrua les narines du saurien et lui dit qu’il avait besoin d’air, qu’il ne pouvait pas respirer.

Aucune importance. L’alligator n’en tint aucun compte.

Alvin sut alors qu’il se battait contre un adversaire autrement dangereux qu’un alligator. Les animaux tenaient à la vie et ne l’oubliaient jamais. Donc, si cet alligator se fichait de ne pas pouvoir respirer…

Une autre secousse. Alvin sentit l’articulation de sa hanche se disloquer. Désormais, seuls des ligaments, des muscles et sa peau retenaient sa jambe au reste du corps. L’alligator les déchiquetterait en un rien de temps.

La douleur était atroce, mais Alvin la chassa de son esprit. Il n’avait pas fait tout ce chemin, surmonté tous les dangers qui le parsemaient pour trouver dans un fleuve une mort que le Défaiseur avait tant de fois voulu lui infliger par le passé.

Alvin se décrocha le sac de l’épaule et en fourra l’extrémité pesante dans la gueule de l’alligator.

Un bout du soc vivant entre les dents, l’alligator voulut happer le reste. Ce qui voulait dire relâcher sa prise sur la jambe de sa victime. Alvin ne pouvait pourtant pas la dégager – ses muscles ne fonctionnaient pas correctement à cause des os déboîtés, et sa jambe refusait de lui obéir. Il ne pouvait pas non plus tendre le bras sous lui et la libérer car il avait besoin de ses deux mains pour tenir le soc. Pour ce qu’il en savait, ce que voulait le Défaiseur, c’était qu’il lâche le soc, qu’il le perde au fond du fleuve, et Alvin refusait d’en arriver là. Il avait mis une bonne part de lui-même dans ce soc, et il n’était pas question de l’abandonner sans se défendre mieux que ça.

Les autres alligators n’étaient plus très loin. Alvin pénétra dans le plus proche et voulut le pousser à attaquer celui qui le retenait. Mais la bête, bien que dépourvue de toute malveillance, ne lui répondait pas non plus. Elle craignait de lui obéir. Le Défaiseur inspirait plus fortement la peur en son cœur qu’Alvin la faim. Elle battit en retraite. Tous ses congénères attendirent en demi-cercle à quelques brasses et suivirent la lutte dans l’eau.

L’alligator cherchait toujours à ronger le soc, et, chaque fois qu’il refermait les mâchoires, Alvin enfonçait l’outil de plus en plus profond entre elles. Le soc était plus épais que la jambe d’Alvin. Finalement, comme les dents ne la serraient plus, le forgeron parvint, d’une torsion de toute sa personne, à dégager sa jambe blessée.

À cet instant, l’alligator réagit et voulut prendre le large, le soc dans la gueule. Mais Alvin se tenait prêt. Il se laissa tomber sur le dos de l’animal et lui enserra la tête dans une étreinte puissante, bloquant fermement les mâchoires sur le soc.

L’alligator n’en fut pas gêné. Le soc était pourtant trop gros pour que ses mâchoires se referment autour, et Alvin les serrait si fort qu’il ne pouvait ni l’avaler ni ouvrir la gueule pour s’en débarrasser. Par-dessus le marché, ses narines étaient toujours bouchées et, contrairement au forgeron qui avait repris plusieurs fois sa respiration durant la lutte, l’alligator, lui, n’avait avalé aucune goulée d’air depuis plusieurs minutes. Combien de temps pouvaient tenir des poumons d’alligator ?

Longtemps, finit par comprendre Alvin qui s’accrochait en serrant de plus en plus fort.

Au bout d’un moment, il s’aperçut que la bête ne fouettait plus l’eau de sa queue.

Il continua néanmoins de lui bloquer la gueule.

Oui, ça y était. Une ultime convulsion, une vague tentative de remonter à la surface pour respirer.

À cet instant, Alvin lui débloqua les narines. Parce qu’il n’était pas question que le Défaiseur l’amène à tuer un alligator parfaitement innocent qui n’aurait fait de mal à personne si on ne l’y avait pas forcé.

Alvin se redressa, en équilibre sur sa jambe valide, et souleva la tête du saurien hors de l’eau. Aussitôt, l’animal se mit à battre faiblement de la queue, aspira de l’air par ses narines et sa gueule en partie obstruée. Alvin le balança en travers de la souche. La gueule resta ouverte un long moment, et il en profita pour en retirer prestement le sac contenant le soc. Puis il repoussa la bête dans l’eau, et cette fois, lorsqu’il lui dit de s’en aller, elle l’entendit et s’éloigna d’une nage hésitante.

Les autres alligators se jetèrent sur leur congénère affaibli et l’entraînèrent sous l’eau.

Non ! s’écria Alvin dans leur esprit. Lâchez-le. Allez-vous-en. Lâchez-le.

Ils obéirent.

Et tandis qu’ils s’en repartaient tous, Alvin crut, l’espace d’un instant, voir à leur côté une créature reptilienne qui n’était pas du tout un alligator mais plutôt une salamandre ardente dont les eaux boueuses du Mizzippy étouffaient l’éclat.

Était-ce là ce qu’avait aperçu Thrower dans son église quand Armure-de-Dieu l’avait découvert recroquevillé de terreur devant ce qui courait sur les murs ? Ou mes yeux me jouent-ils des tours à cause de la douleur… tellement… insupportable.

Alvin traîna sa jambe estropiée et son sac jusque sur la berge où il resta étendu, le souffle court.

Il comprit alors que le Défaiseur avait quand même remporté une victoire. Il ne voulait pas que je traverse le fleuve. Donc je dois y arriver, et sans tarder, sinon il gagne encore.

Aidé de l’eau qui supportait en partie le poids atroce de sa jambe déboîtée, Alvin gagna la souche, moitié sautillant, moitié nageant, puis déposa le soc dessus et se hissa à son tour. La manœuvre nécessita davantage que sa seule force physique – il dut faire appel à son pouvoir pour empêcher la souche de rouler sur elle-même et de l’entraîner avec elle. Mais il finit par grimper entièrement dessus et pagaya à la main jusque dans le courant du fleuve.

Devant lui, la muraille de brume attendait. C’était la sécurité. S’il arrivait jusque-là, il se trouverait sous l’influence de Tenskwa-Tawa qui bénéficiait de tout le pouvoir du peuple rouge derrière la création de ce brouillard. Le Défaiseur ne pourrait sûrement pas l’y suivre.

Alvin continuait d’avancer malgré la chape de douleur qui menaçait de le plonger dans l’inconscience. Il n’arrivait pas à se concentrer suffisamment pour pagayer plus vite ou plus facilement. Ni pour s’occuper de sa hanche déboîtée. Il continuait de pagayer sans relâche, conscient que le courant l’entraînait vers la gauche, plus loin vers l’aval qu’il ne le voulait.

Le brouillard se referma sur lui. Et, balayé par une vague de soulagement, il finit par sombrer peu à peu dans l’inconscience.

 

*

 

Il se réveilla et trouva un Noir penché sur lui.

L’homme parlait une langue qu’Alvin ne comprenait pas. Mais il l’avait déjà entendue. Même s’il ne se rappelait pas où.

Alvin était allongé sur le dos. Sur la terre ferme. Il avait dû réussir sa traversée.

À moins que quelqu’un l’ait trouvé sur le fleuve et transporté jusqu’à l’autre rive.

Il avait du mal à se concentrer.

La voix de l’homme se fit plus pressante. Puis le sens de ses paroles devint parfaitement clair lorsque de grandes mains puissantes tirèrent sur sa jambe blessée pendant que deux autres poussaient sur le haut de sa cuisse. L’os frotta contre l’os dans une explosion de douleur atroce. En vain. Le fémur refusa de se remettre en place et, lorsqu’on laissa sa jambe revenir à sa position déboîtée, la douleur devint trop forte ; Alvin s’évanouit.

Il se réveilla à nouveau, peut-être peu de temps après, et l’homme se mit encore à parler et à gesticuler. Alvin leva une main affaiblie. « Attendez, dit-il. Attendez un peu. »

On comprit peut-être ses paroles ou son geste, mais on n’en montra rien. Il vit alors qu’ils étaient plusieurs autour de lui, décidés à remettre sa hanche en place, et rien de ce qu’il disait n’allait les en empêcher.

Aussi, avec l’énergie du désespoir, il passa son organisme en revue, trouva les ligaments qui bloquaient le passage, et cette fois, lorsqu’ils tirèrent et poussèrent, Alvin fut en mesure de faciliter l’opération pour que la tête du fémur passe les obstacles en douceur. L’espace d’un instant, l’os se tint en équilibre au bord de la cavité, puis, dans un à-coup, il réintégra son logement d’origine.

Alvin s’évanouit une nouvelle fois.

À son réveil, il était ailleurs, sous un toit, sans personne autour de lui, mais il entendait des voix dans une langue étrange – pas la même langue que précédemment – qui lui arrivaient du dehors.

Du dehors de quoi ?

Ouvre les yeux, couillon, et vois où tu es.

Une cabane. Vieille. Qui avait grand besoin de torchis neuf pour colmater les trous dans les murs. Inhabitée depuis longtemps, manifestement.

La porte s’ouvrit. Un autre Noir entra. Alvin lui trouva alors un air familier. Il portait un costume de plumes et de peaux animales disposé de façon à donner l’impression, mais l’impression seulement, d’une nudité décorée. Pas comme un Rouge. Mais peut-être comme un Africain. Peut-être comme il se serait vêtu sur sa terre natale avant qu’on l’emmène en esclavage.

Mais Alvin l’avait déjà vu. Sur le pont d’un bateau.

« Apprendre anglais », fit l’homme.

C’était vrai, les esclaves à bord parlaient un peu anglais. Certains parlaient espagnol et la plupart la langue des Mexicas, mais ces deux idiomes restaient un mystère pour le forgeron.

« T’étais sur le Yazoo Queen », dit Alvin.

L’homme parut déconcerté.

« Bateau, insista Alvin. Toi. »

L’homme hocha joyeusement la tête. « Toi sur bateau ! Toi mis moi… nous… partis bateau !

— Oui, fit Alvin. On vous a libérés. »

L’homme se jeta à genoux près de la natte d’Alvin et se pencha pour le serrer dans ses bras. Alvin répondit à son étreinte.

« Depuis quand j’suis icitte ? » demanda-t-il.

L’homme fut à nouveau dérouté. Le forgeron l’avait visiblement poussé hors des limites de son anglais.

Alvin voulut se redresser sur son séant, mais l’homme le repoussa en arrière.

« Dormir dormir, fit le Noir.

— Non, j’ai ben assez dormi, dit Alvin.

— Dormir dormir ! » insista l’autre.

Comment Alvin pouvait-il lui expliquer qu’il s’était examiné la jambe pendant qu’ils discutaient et s’étreignaient, avait trouvé toutes les blessures – les points douloureux de l’articulation, ceux où les dents de l’alligator avaient déchiré la peau – et les avait guéries ?

Tout ce qu’il pouvait faire, c’était lever la jambe supposée déboîtée et prouver qu’il la mouvait sans peine. L’homme le regarda avec surprise et voulut lui rabaisser la jambe, mais Alvin lui montra plutôt qu’il n’y avait plus de cicatrices là où l’avait mordu l’alligator.

L’homme éclata soudain de rire et ôta la couverture qui cachait toujours l’autre jambe. Il croyait sûrement qu’Alvin blaguait en lui présentant celle qui n’était pas blessée. Mais quand l’autre aussi se révéla indemne, il se releva et recula lentement.

« Ousque sont mes attifaux ? » demanda Alvin.

Pour toute réponse, l’homme fonça vers la porte, la poussa et sortit à la lumière du jour.

Alvin se mit debout et jeta un coup d’œil circulaire dans la pénombre de la cabane, mais ce n’étaient pas ses vêtements qu’il cherchait. Le sac avait disparu, et le soc du même coup. Avait-il glissé de la souche dans le Mizzippy ? Ou l’avait-il gardé avec lui jusqu’à la rive où il se trouvait désormais et ces hommes s’en étaient-ils emparés ?

Il projeta sa bestiole dans les environs, en quête de la lueur chaude de l’outil. Mais ce n’était pas comme une flamme de vie, étincelle éclatante dans un océan scintillant. Le soc était en or vivant, oui, mais en or tout de même, et rien en lui ne contenait le feu de la vie. Quand Alvin savait où regarder, il le dénichait toujours facilement. Mais il ne l’avait jamais cherché sans savoir où il se trouvait déjà.

En fin de compte, il prit la couverture et s’en ceignit la taille à la façon d’une jupe. On ne croyait peut-être pas qu’il puisse guérir aussi vite, mais il n’allait pas laisser leur prudence ni sa pudeur l’empêcher de remettre la main sur ce qu’il avait perdu.

Il sortit dans la lumière éclatante du jour – du matin, donc il n’avait peut-être pas dormi si longtemps. S’il s’agissait bien du matin de la même journée. Pourquoi aurait-il dormi plus longtemps ? Le chant vert l’avait parfaitement revigoré juste avant son combat contre l’alligator. Et le combat n’avait pas duré éternellement. Le temps de quelques coups de queue. Pourquoi en était-il sorti si épuisé, au fait ? La douleur, la perte de sang et l’énergie déployée pour aider les inconnus à lui remettre la hanche en place n’auraient pas dû lui coûter autant de forces. Non, c’était forcément le même matin. Il n’avait pas perdu de journée.

On le repéra très vite, et des Noirs se précipitèrent vers lui. Sûrement les hommes qu’Arthur Stuart et lui avaient libérés de l’esclavage à bord du Yazoo Queen – ceux dont Steve Austin comptait se servir comme interprètes et guides au Mexique où ils avaient été autrefois esclaves. Ils n’avaient donc aucune raison de lui vouloir du mal.

« Mon sac, dit-il. Un sac de ménage, je l’portais en bandoulière, un sac lourd. » Il mima le geste de se le mettre à l’épaule et de l’enlever.

Ils comprirent aussitôt. « Esprit d’or ! s’écria celui qui lui avait parlé un instant plus tôt dans la cabane. L’or elle vole ! » Il courut sur quelques foulées puis fit signe à Alvin de le suivre.

Il découvrit le soc, hors du sac, qui flottait en l’air à hauteur de la ceinture. Trois Noirs assis en un triangle parfait levaient les yeux et tendaient la main vers lui.

Le guide d’Alvin les héla lorsqu’ils s’en approchèrent, et les trois hommes se mirent lentement debout, mais sans cesser de tendre la main vers le soc. L’outil restait au centre, à égale distance des trois, à hauteur de tête. Ils se retournèrent prudemment et se dirigèrent vers Alvin.

« Pas prendre, fit le guide. Elle pas vouloir. »

Alvin comprit que le soc refusait tout bonnement de se laisser prendre par quelqu’un d’autre que lui. Il se tenait à distance des mains tendues.

Sauf de celle d’Alvin. Le forgeron s’approcha, tendit le bras, et le soc ne recula pas. Il lui bondit même pour ainsi dire dans les mains. Bien entendu, Alvin dut lâcher la couverture, mais vu que ces gens étaient aussi nus que possible, il leur demanda : « Vous avez mis mes habits quèque part, s’il vous plaît ? Et l’sac ousque j’avais mon soc ? »

Avec force sourires et hochements de tête, on entreprit de le vêtir – on voulut même lui soulever les deux jambes à la fois afin de les enfiler dans son pantalon.

« Non ! fit-il d’un ton sans réplique. Je m’habille tout seul depuis tout p’tit. » Il déposa doucement le soc dans l’herbe humide. La rosée avait dû être intense. Ou il avait plu durant la nuit. Quoi qu’il en soit, à peine l’avait-il posé par terre que les autres se ruèrent, mains tendues, vers le soc qui s’éleva aussitôt dans les airs.

« L’or elle vole ! l’avertit le guide.

— C’est un soc, fit Alvin. Sa place, c’est par terre. » À la vérité, son rôle était de mordre même dans la terre, de la retourner, d’en briser les mottes, d’exposer ses entrailles à la chaleur du soleil. Et Alvin comprit à cet instant la nature du soc. Il n’avait toujours vu en lui que le matériau dont il était fait, l’or vivant, mais c’était au départ un soc, avant sa transmutation en or, et il aurait depuis longtemps dû servir aux travaux des champs. Ce n’était pas parce qu’un objet était fait dans un métal qui, une fois fondu, valait beaucoup d’argent qu’il en perdait sa vocation première.

Habillé, le sac dans une main, Alvin en passa la gueule autour du soc flottant en l’air puis se balança le sac sur l’épaule. L’outil reprit docilement sa place habituelle.

Les hommes lâchèrent un soupir à ce spectacle.

Un autre Noir s’approcha alors en tenant délicatement quelque chose sur un lit de feuilles. Ça scintillait comme du cristal sous le soleil éclatant, et Alvin le reconnut tout de suite. S’il avait douté un seul instant que ces hommes étaient ceux-là mêmes qu’Arthur Stuart et lui avaient libérés du Yazoo Queen, il ne le pouvait plus désormais car le cube de cristal dans les mains de l’homme avait été fait à partir d’une goutte de son propre sang mélangé à de l’eau à bord du bateau. Il leur avait donné deux cubes de ce genre en guise de laissez-passer à montrer aux Rouges de l’autre côté du fleuve. Les Rouges sauraient que de tels objets ne pouvaient être dus qu’à Tenskwa-Tawa ou à quelqu’un ayant suivi son enseignement, et les esclaves libérés pourraient pénétrer sans risque sur leur territoire. Il avait donc vu juste.

« Bon, fit Alvin, ousque j’suis et ousqu’est Tenskwa-Tawa ?

— Profeta roja, dit un Noir. Ten-si-ki-wa Ta-wa. » Sa prononciation rappelait davantage celle des Rouges. Bah, parler les langues étrangères n’était pas le talent d’Alvin, rien de nouveau de ce côté-là, et il n’allait pas se sentir gêné parce qu’il avait mal prononcé le nom de son ami toutes ces années.

« Ten-sa-ka-wa Ta-wa », marmonna-t-il.

Un des hommes voulut le corriger, mais Alvin renonça sans plus tarder. Tenskwa-Tawa avait répondu à ce nom des années durant, et si ça l’avait embêté, il en aurait parlé depuis longtemps.

« On reste, dit le guide. Attendre. »

Tenskwa-Tawa allait donc venir. Eh bien, Alvin pouvait attendre comme tout le monde – surtout maintenant qu’il était habillé et avait récupéré le soc. Il se sentait également rassuré de savoir que le soc pouvait à peu près se débrouiller tout seul. Un soc qui s’envole quand on veut mettre la main dessus, on a du mal à l’amener sur un feu pour le fondre. Ce qui ne voulait pas dire qu’un sortilège puissant n’y arriverait pas. En tout cas, ce ne serait pas chose facile pour un voleur. Alvin craindrait un peu moins pour lui maintenant qu’il le savait.

Il passa ce qui restait de la matinée à tenter d’apprendre le nom de certains de ses compagnons, mais ses efforts virèrent à la partie de rigolade à cause de sa mauvaise prononciation. Autant qu’il pouvait en juger, ils ne lui disaient pas leurs noms mais lui faisaient répéter des jurons grossiers dans leur langue.

On apporta à manger à midi, mais, là aussi, il trouva les plats étranges et inhabituels. Un pain tout plat comme une galette mais en plus fin encore, enduit d’une pâte épicée qui contenait peut-être de la purée de haricots, mais peut-être pas. C’était bon, pourtant. Ça cuisait un peu le palais, et boire de l’eau n’y changeait rien, mais ils avaient des tranches de papaye dans un panier, et une bouchée de fruit fit disparaître la sensation de brûlure. Au bout d’un moment il finit par s’y habituer et en apprécier le goût.

Après le repas, Alvin partit faire un tour afin de s’orienter. Il s’aperçut que toute la troupe le suivait comme des enfants suivent un étranger dans un village. Il se demanda s’ils le protégeaient, s’ils le surveillaient pour s’assurer qu’il ne s’enfuyait pas ou s’ils étaient tout bonnement curieux de voir ce qu’il allait faire maintenant.

Il découvrit qu’ils se trouvaient sur une île plate et large près de la rive droite du Mizzippy. Le brouillard qui s’étendait de leur côté du fleuve s’arrêtait à la berge, coupé net comme du beurre par un couteau. Et des canots reposaient au sec au bord du chenal qui séparait l’île du rivage principal. Ainsi ces hommes n’étaient pas des prisonniers. Alvin en fut soulagé. Il se dit pourtant que le choix de cette île comme résidence devait être une espèce de compromis proposé par Tenskwa-Tawa entre les Rouges qui refusaient toute exception à la loi voulant que seule leur race puisse vivre à l’ouest du fleuve et ceux qui estimaient que les esclaves marrons appartenaient à une autre catégorie que les Blancs armés de fusils et de haches.

Tenskwa-Tawa arriva dans l’après-midi avec force cérémonies. Brusquement, toute une ribambelle de Rouges se mirent à pousser des hululements et des cris comme s’ils partaient en guerre – Alvin avait déjà entendu semblable charivari quand des guerriers l’avaient fait prisonnier avant qu’on fixe le Mizzippy comme ligne de démarcation. C’était un bruit terrible, et il se demanda un instant si les Rouges de cette rive s’étaient servis de leurs années de paix pour préparer une guerre sanglante. Mais il se rendit alors compte que les hululements et les cris équivalaient à des bravo, youpi, hosanna, alléluia et hip hip hip hourra.

Tenskwa-Tawa émergea des bois sur l’autre rive du chenal, et les Rouges l’entourèrent pour le conduire vers un grand canot. Ils le portèrent afin qu’il ne se mouille pas les pieds, le déposèrent dans l’embarcation, puis bondirent à bord et pagayèrent furieusement, si bien qu’il fila à la surface de l’eau comme un caillou faisant des ricochets. Puis on le souleva une nouvelle fois, on le transporta sur la berge et on le déposa juste devant Alvin.

Se retrouvèrent donc face à face Alvin, un demi-cercle de vingt-cinq Noirs derrière lui, et Tenskwa-Tawa, précédant un demi-cercle d’autant de Rouges.

« Est-ce que ça ressemble à ça, fit Alvin, quand l’roi d’Angleterre rencontre le roi d’France ?

— Non, répondit Tenskwa-Tawa. Pas assez d’fusils, pas assez d’vêtements. »

Ce qui était vrai. À côté des Noirs, pourtant, les Rouges avaient l’air très vêtus vu que des pans entiers de leur personne ici et là étaient couverts de peau de daim ou de tissu. Si je m’habillais comme ça, se dit Alvin, je grillerais sous le soleil et on n’aurait plus qu’à me servir à table.

« Je suis content que tu sois venu, dit Tenskwa-Tawa. Je voulais aussi te parler.

— Au sujet de ces genses ? demanda Alvin.

— Eux ? Ils ne gênent pas. Tant qu’ils dorment sur cette île, ils vont où ils veulent sur le rivage. C’est là que sont leurs fermes. On sera navrés de les voir partir quand tu vas les emmener.

— J’comptais pas les emmener, fit Alvin. Mais ils sont décidés à devenir des soldats pour combattre pour toi et tuer tous tes ennemis. C’est pour ça qu’ils doivent dormir sur cette île. Parce qu’ils refusent de renoncer à la guerre. »

Alvin était déconcerté. « J’ai pas d’ennemis. » Tenskwa-Tawa aboya de rire. « J’veux dire, pas d’ennemis que des guerriers peuvent combattre.

— C’est très curieux, dit Tenskwa-Tawa, d’entendre des hommes noirs parler une langue rouge comme s’ils la connaissaient depuis la naissance. La langue qu’ils parlent ressemble beaucoup au navaho que j’ai été obligé d’apprendre parce que cette tribu avait moins envie que la plupart des autres de cesser la guerre. Elle n’avait apparemment pas tout à fait fini d’exterminer les Hopis et ne voulait pas déposer les armes tant que le travail n’était pas terminé.

— Ç’a donc pas été facile de faire prêter serment aux Rouges contre la guerre.

— Non, dit Tenskwa-Tawa. Ni de convaincre les jeunes d’en faire autant une fois en âge. Les enfants jouent encore beaucoup à la guerre, et si on essaye de les en empêcher, ils se sauvent jouer plus loin. Je crois que nous avons élevé nos garçons dans l’idée de la guerre pendant trop de générations pour qu’elle disparaisse de nos cœurs du jour au lendemain. Pour l’instant la paix se maintient parce qu’il reste encore beaucoup d’adultes qui se souviennent des tueries – et de nos défaites sévères et répétées. Mais il y a toujours ceux qui veulent traverser le fleuve et se battre pour récupérer nos terres et rejeter tous les diables blancs à la mer.

— Y a une masse de Blancs qui rêvent de croiser l’brouillard et d’prendre aussi possession de ce territoire, fit Alvin.

— Y compris ton frère », dit Tenskwa-Tawa.

Alvin s’efforça de trouver lequel de ses frères avait un jour débité une pareille ânerie. « C’est tous des fermiers, des meuniers, et ils sont tous à Vigor Church, dit-il. Sauf Calvin.

— C’est lui. C’est de ça que je voulais te parler. »

Tenskwa-Tawa se tourna vers les Rouges qui l’accompagnaient pour leur lancer quelques mots, puis il s’adressa aux Noirs dans une autre langue. Alvin fut abasourdi puis ravi lorsque les deux groupes se mélangèrent aussitôt et entamèrent deux parties de cartes et des parties de dés.

« Me dis pas que ces cartes-là sont imprimées de ce bord-ci du fleuve, fit Alvin.

— Ce monde noir que tu m’as envoyé les avait, expliqua Tenskwa-Tawa. Ils jouent à des jeux de paris, mais leur argent, c’est des cailloux. Celui qui gagne le plus se pavane pendant une heure, mais quand ils reprennent une partie, ils repartent tous à égalité.

— Ça m’a l’air civilisé.

— Au contraire, fit Tenskwa-Tawa. On dirait des jeux de sauvages puérils. »

On devinait dans son grand sourire l’ombre d’une douleur ancienne, mais Alvin comprenait. « Ben, nous autres les djabs blancs, on verrait là une occasion en or, on y jouerait avec des jetons représentant tous nos biens et on tricherait jusqu’à tout s’ramasser dedans la poche.

— Alors que nous, les diables rouges, on tuerait la plupart d’entre vous et on torturerait le reste à mort à cause du pouvoir qu’on pourrait tirer de la douleur. » Il tendit la main.

« C’est de ça que je voulais te parler. Avant que ton frère parte pour le Mexique, ça ne te regardait pas, mais maintenant si.

— Alors il s’en est vraiment allé avec ces couillons, dit Alvin.

— Les Mexicas nous ont causé des ennuis. Il y a un grand désert entre nos terres et les leurs, mais ce n’est pas un obstacle aussi net que le fleuve. Grand nombre de tribus vivent dans ces régions arides, beaucoup d’échanges et de déplacements se font de part et d’autre, et on raconte beaucoup d’histoires sur les Mexicas qui se sont dressés contre les Espagnols et les ont chassés, sauf les cinq mille qu’ils ont gardés pour les sacrifier, un par jour, à qui ils arrachaient le cœur à vif.

— T’as pas l’air d’aimer ce monde-là, fit Alvin.

— Ils vivent autrement que nous. On se rappelle bien quand leurs ancêtres sont descendus du Nord, un peuple fier qui parlait une langue différente de toutes les autres. Les Navahos, c’était la dernière vague, les Mexicas la première, mais ils ne faisaient pas confiance au chant vert. Ils tiraient leurs pouvoirs de la douleur et du sang de leurs ennemis. C’est un moyen qu’on employait aussi dans nos tribus. La ligue Irrakwa était connue pour ça, et tu as eu maille à partir, je crois, avec d’autres qui aimaient verser le sang et torturer. Mais nous avons toujours su revenir à la musique du pays vivant. Ces Rouges-là ne savent pas, ou ils n’essayent pas, ce qui revient au même. Ils se moquent de mon enseignement de paix et envoient des ambassades pour exiger qu’on leur fournisse des hommes blancs à sacrifier, menaçant de venir prendre des prisonniers dans notre peuple.

— Ils ont déjà fait ça ?

— Que des menaces, mais d’après d’autres tribus plus au sud, une fois qu’ils ont lancé la menace, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils la mettent à exécution.

— Qu’esse tu vas faire, alors ?

— Pas du brouillard, répondit Tenskwa-Tawa avec une ironie désabusée. Pas assez d’air humide en plein désert, et puis ils tortureraient quelqu’un et tireraient du pouvoir de sa souffrance, assez pour chasser la barrière que j’aurais placée devant eux.

— Alors… si c’est pas ton plan…

— Nous, nous vivons en harmonie avec la terre, dit Tenskwa-Tawa. Eux, ils arrosent la leur de sang. Nous croyons, avec un peu d’encouragements, pouvoir réveiller le géant qui dort sous leur grande ville de Mexico. »

Alvin n’en revenait pas. « Y a de vrais géants ? J’connaissais pas ça. »

Tenskwa-Tawa eut l’air peiné. « Leur ville est construite juste au-dessus d’une source bouchée de roche en fusion. Elle n’a pas jailli depuis très longtemps, mais elle s’agite de plus en plus à cause des tueries.

— Tu parles d’un volcan.

— Oui, dit le prophète.

— Tu vas leur faire comme à Pompéi.

— La terre va s’en charger.

— C’est pas une mayère de guerre, ça ? » demanda Alvin.

Tenskwa-Tawa soupira. « Aucun de nous ne brandira d’arme ni ne tuera personne. Et nous les avons clairement prévenus que leur ville disparaîtra sous le feu s’ils n’arrêtent pas leurs sacrifices humains démoniaques et s’ils ne libèrent pas toutes les tribus qu’ils tyrannisent par la peur et par la force.

— Alors c’est comme ça que tu fais la guerre, asteure, fit Alvin.

— Oui, dit Tenskwa-Tawa. Nous serions en paix avec tous les peuples de la terre si on nous laissait faire. Tant que nous n’en venons pas à aimer la guerre ni à nous en servir pour dominer les autres, nous restons un peuple pacifique.

— Alors j’imagine que les Navahos ont pas seulement été convaincus de prêter l’serment de paix.

— Ils ont eu une longue période de sécheresse pendant laquelle la seule averse est tombée sur les champs hopis.

— M’est avis qu’ils ont compris l’message.

— Alvin, dit Tenskwa-Tawa, j’ai pas à te justifier nos actes, pas vrai ?

— Dame non, fit Alvin. Ça m’rappelle ton frère, cette mayère de s’battre. J’te croyais… plusse patient, j’dirais bien.

— Parce que nous avons enduré le massacre d’amis et d’êtres chers à la Tippy-Canoe.

— Oui. Tu les as laissés vous massacrer jusqu’à tant qu’ils soient étcheurés de meurtre.

— Mais comment faire avec des gens que ça n’écœure jamais ? demanda Tenskwa-Tawa.

— Les Blancs, c’est pas du si mauvais monde alors, c’est c’que tu dis.

— Les dieux des Mexicas ont soif de sang et faim de souffrance. Les Blancs veulent la plupart du temps devenir riches et qu’on les laisse tranquilles. Pour ceux qui se font tuer, les raisons ne changent pas grand-chose. Mais, pour la plupart des Blancs, la guerre et le massacre ne sont pas un but, seulement un moyen.

— Ben, ça nous donne sûrement une place à part en enfer.

— Alvin, nous allons faire ce qu’il faut. À dire vrai, c’est déjà en route, et nous ne pouvons plus rien maîtriser ni arrêter maintenant. Les forces souterraines sont immenses et terribles, et il a fallu nos hommes et femmes les plus sages de toutes les tribus pour apprendre pendant plusieurs mois à la terre ce que nous voulions qu’elle fasse dans la ville de Mexico.

— Et fallait que tu me l’dises par rapport que Calvin y va tout droit.

— Je serais peiné de causer la mort de ton frère.

— Mais voilà, fit Alvin, j’ai pas souvenance que Calvin ait jamais fait ce que j’voulais quand je l’voulais.

— Je ne pensais pas que ce serait facile. Je savais seulement que tu m’en voudrais toujours si je ne te prévenais pas et si je ne te donnais pas une chance d’essayer. »

Alvin soupira et s’assit. « J’regrette de plus être un p’tit drôle.

— Avec le Défaiseur qui te fait tomber des poutres de toit sur la tête et envoie des pasteurs te saigner à mort sous prétexte de chirurgie ?

— Au moins, c’était moi tout seul que j’essayais d’sauver. J’peux pas suivre Calvin à Mexico pour le ramener, par rapport que j’dois trouver où héberger cinq milliers d’esclaves marrons et de réfugiés français de Barcy. »

Tenskwa-Tawa embrassa du geste l’île où ils se tenaient assis. « Si tu crois pouvoir installer cinq mille personnes ici, ne te gêne pas. Mais seulement les esclaves marrons. Mon peuple ne tolérerait pas ces Français blancs dont tu parles sur nos terres.

— Non, fit Alvin, m’est avis qu’non.

— Le Canada n’est pas un pays si plaisant pour qu’on croie les Français moins méchants et sanguinaires que les Anglais ou les Espagnols.

— On en a quèques-uns aussi, dit Alvin. Du pauvre monde qu’a remis son sort entre nos mains. Mais on veut pas vivre icitte.

— Bien, fit Tenskwa-Tawa. Parce que je n’aurais pas le pouvoir de persuader les nations de vous y laisser.

— Ce qu’y nous faut, c’est le libre passage.

— Pour aller où ?

— Au nord. Le long du Mizzippy. Au nord, de l’autre côté du fleuve des États-Unis. Ou, plus exactement, de l’État libre de la Noisy River. Ça vaudrait arien d’revenir dans l’territoire esclavagiste.

— Cinq mille réfugiés, fit Tenskwa-Tawa. Et qui mangent quoi ? »

Alvin eut un grand sourire. « Tout ce que la terre et vot’ bon tcheur veut bien leur donner.

— Cinq mille personnes laissent sur leur passage une cicatrice dans la terre.

— C’est la saison des moissons. Les champs sont mûrs, les fruits dessus les arbres. Les temps sont donc si durs de ce bord-ci du fleuve que vous avez arien à donner à du monde qui fuit l’esclavage et l’oppression ?

— Ça nécessiterait de gros efforts, dit Tenskwa-Tawa. Nous ne sommes pas comme vous. Nous ne faisons pas pousser les vivres ici puis nous ne les transportons pas par chariots, trains ou péniches pour les vendre là-bas. Chaque village cultive de quoi se nourrir, et c’est seulement quand la famine sévit quelque part qu’on en fait venir d’ailleurs.

— Ben, on pourrait dire que cinq mille genses sans terre ni rien à manger, c’est une mayère de famine ambulante, non ? »

Tenskwa-Tawa secoua la tête. « Ta demande est très délicate. Et pas seulement pour ces raisons-là. Qu’est-ce que vont en conclure tous les Blancs des États-Unis et des colonies de la Couronne si cinq mille esclaves marrons traversent le fleuve malgré le brouillard et ressurgissent cinq cents milles plus au nord ?

— J’ai pas pensé à ça.

— Ils essayeront de traverser par pleins bateaux pour entrer chez nous.

— Mais ils y arriveront pas.

— Le brouillard, c’est du brouillard, dit Tenskwa-Tawa. Nous le chargeons de peur, oui, mais ceux qui ont assez de cupidité ou de rage peuvent surmonter cette peur. Quelques-uns s’y risquent tous les ans, et de temps en temps il y en a un qui réussit à passer.

— Qu’esse vous faites d’eux ? demanda Alvin.

— Ils portent des entraves et travaillent avec les femmes jusqu’à ce qu’ils trouvent dans leur cœur l’envie de prêter le serment de paix et de vivre avec nous.

— Sinon vous les renvoyez ?

— Nous ne laissons jamais personne repartir.

— Sauf moi.

— Et ces vingt-cinq hommes noirs. Tu peux les emmener quand tu veux. Parce qu’ils n’iront pas raconter des histoires sur ce paradis qui attend que le régiment de la vertu vienne chasser les sauvages païens désarmés.

— Alors faut p’t-être rendre la traversée si impressionnante que personne pensera pouvoir la faire en bateau. »

Tenskwa-Tawa éclata de rire. « Oh, Alvin, tu as une âme d’homme de spectacle.

— T’as toi aussi donné deux ou trois spectacles dans l’temps, mon vieil ami.

— J’imagine que si ça a l’air d’un miracle, ni l’armée des États-Unis ni l’armée royale ne se croiront capables de le répéter. Le seul point faible dans ton idée, Alvin, c’est que ta traversée du lac Pontchartrain ressemblait beaucoup à un miracle, et ça ne les a pas empêchés d’envoyer des troupes à ta poursuite.

— Une fois que j’ai enlevé l’pont, répliqua Alvin, ils ont plus essayé d’passer. »

Tenskwa-Tawa secoua la tête. « J’ai une guerre sur les bras avec les Mexicas, et maintenant je dois t’aider à opérer une traversée miraculeuse du Mizzippy qui ferait courir un risque à la grande nation en paix.

— Hé, j’peux t’en dire autant. Moi, j’essaye de sauver cinq mille marronneux et, toi, tu m’annonces qu’mon frère s’en va dans la gueule d’un volcan que tu peux pas arrêter.

— Une bonne chose de s’aimer autant, nous deux.

— Tu m’as appris tout ce que j’connais.

— Mais pas tout ce que, moi, je connais.

— Et je t’ai redonné ton œil.

— Et guéri mon cœur, dit Tenskwa-Tawa. Mais tu m’embêtes quand même beaucoup. »

La Cité de Cristal
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